Non-discrimination : les lois évoluent, notamment en matière d’indemnisation

La Chambre a approuvé le 22 juin dernier un projet de loi visant à modifier la législation fédérale anti-discrimination. Les modifications répondent à certaines recommandations formulées par la Commission d’évaluation des lois fédérales tendant à lutter contre la discrimination, à différentes obligations européennes (notamment des sanctions effectives et dissuasives) et aux évolutions sociétales et jurisprudentielles.

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Le projet de loi actualise ainsi les trois dispositifs législatifs suivants, sur lesquels la lutte contre la discrimination repose essentiellement :

  • la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie ;
  • la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination ; et
  • la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes.

Les modifications précisent et adaptent plusieurs formes et critères de discrimination, renforcent et diversifient les sanctions civiles et prévoient un financement des organisations actives dans ces domaines.

1. Formes de discrimination

1.1. Discrimination multiple

Depuis 2008, plusieurs entités fédérées reconnaissaient déjà expressément dans leur législation la possibilité que la discrimination soit fondée sur « un ou plusieurs critères protégés » mais la législation fédérale demeurait lacunaire à cet égard. Le projet de loi consacre désormais la discrimination multiple, résultant de plusieurs critères protégés, pouvant prendre les deux formes suivantes :

      • Discrimination cumulée

Une personne est discriminée en raison de plusieurs critères protégés qui s’additionnent, tout en restant dissociables.

Ex. : refus d’engagement d’un homme de 44 ans car l’employeur considère qu’il aurait du mal à s’intégrer dans une équipe de jeunes femmes entre 20 et 30 ans. Il est donc discriminé en raison à la fois de son sexe et de son âge. Ces critères protégés s’additionnent, tout en restant dissociables (un homme plus jeune ou une femme plus âgée n’auraient pas non plus été embauchés).

      • Discrimination intersectionnelle

Une personne est discriminée en raison de plusieurs critères protégés qui interagissent et deviennent indissociables, la discrimination ne l’affectant que parce qu’elle présente ces critères à la fois.

Ex. : Un hôtel refuse l’entrée aux femmes d’origine asiatique, les considérant automatiquement comme travailleuses du sexe. Une femme d’origine non-asiatique et un homme d’origine asiatique seraient autorisés à accéder à l’établissement. Dans ce cas, seul un type bien précis de personnes cumulant (au moins) 2 critères sont discriminées (les critères protégés sont le genre et l’origine ethnique).

Qui dit discrimination multiple, dit possibilité d’indemnisation multiple…

Dans le cadre des relations de travail, l’indemnisation forfaitaire du dommage matériel et moral subi par un travailleur du fait d’une discrimination équivaut à 6 mois de rémunération brute.

Dans un arrêt du 28 juin 2021, la cour du travail d’Anvers a condamné un employeur à verser deux indemnités de 6 mois en raison d’une discrimination fondée sur le handicap et sur le sexe (discrimination cumulée). Selon cette jurisprudence, la violation de différents critères protégés peut donner lieu à un cumul des indemnités forfaitaires. Le projet de loi consacre cette jurisprudence en cas de discrimination multiple (cumulée ou intersectionnelle) mais laisse au juge un pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité du cumul des indemnités forfaitaires.

N.B. : La loi du 7 avril 2023 modifiant la législation fédérale anti-discrimination en matière de protection contre les représailles prévoit quant à elle la possibilité d’un autre cumul : celui de l’indemnité forfaitaire visée ci-dessus (qui peut donc être multiple), couvrant le préjudice qui découle de la discrimination proprement dite, avec l’indemnité forfaitaire de 6 mois de rémunération brute réparant le préjudice causé par une mesure préjudiciable prise de manière injustifiée en guise de représailles (licenciement, rétrogradation, etc.) suite à une plainte.  

1.2. Discrimination par association

La discrimination par association est reconnue et interdite par la jurisprudence (européenne et belge) depuis plusieurs années. Le projet de loi introduit expressément cette notion, qui fait référence à la situation dans laquelle une personne est discriminée, non pas en raison de caractéristiques qui lui sont personnelles, mais parce qu’elle est étroitement associée à un individu présentant un critère protégé.

Ex. : un père est licencié parce qu’un de ses enfants est porteur d’un handicap et que son employeur a considéré que le handicap de son enfant risquait d’entamer sa motivation et d’occasionner des absences.

1.3. Discrimination fondée sur un critère supposé

Cette notion, reconnue par le Cour européenne des droits de l’Homme, s’entend de la situation dans laquelle une personne fait l’objet d’une discrimination parce qu’elle est perçue comme présentant une caractéristique protégée qui lui est en réalité étrangère.

Ex. : une personne est victime de discrimination car, en raison de son engagement dans une organisation LGBTQI+, on suppose qu’elle a une orientation sexuelle particulière.

2. Critères protégés

Le projet de loi étend le critère d'“origine sociale” à “l’origine ou la condition sociale” afin de tenir compte des personnes subissant un traitement défavorable en raison de leur condition sociale actuelle.

Ex. : sans-abri, demandeurs d’emploi, personnes analphabètes ou illettrées, personnes vivant dans des conditions socio-économiques difficiles, personnes sortant ou qui sont sorties du système de la prostitution ou qui ont un passé judiciaire.

3. Renforcement et diversification des sanctions civiles

3.1. Mesures positives dans le cadre d’une action en cessation

L’action en cessation vise à obtenir une décision judiciaire ordonnant de mettre fin à une discrimination en cours (injonction négative). Le projet de loi introduit la possibilité pour le président du tribunal compétent d’imposer également des mesures positives propres à empêcher la répétition du comportement discriminatoire, comme l’adoption d’une politique de diversité.

3.2. Publication de la décision

Si la publication de la décision de cessation était déjà une possibilité prévue par les lois anti-discrimination, le projet de loi supprime l’exigence qu’elle soit « nécessaire » pour assurer la cessation de la discrimination. L’objectif est de lever un frein qui empêchait le juge – qui conserve néanmoins son pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité de la publication – de recourir à cette sanction.

4. Financement structurel des associations

Le projet de loi prévoit l’octroi de subsides accordés annuellement aux organisations actives dans la lutte contre les discriminations, le racisme et la xénophobie.

Les organisations d’employeurs déplorent que leur demande d’obtenir des subsides pour accroître la diversité au sein des entreprises n’ait pas été prise en compte. En mars 2021, elles avaient en effet fait part à Sarah Schlitz, à l’époque secrétaire d’État à l’Égalité des genres, à l’Égalité des chances et à la Diversité, de leur projet de mettre en place, avec l’aide du gouvernement, un point de contact unique afin, notamment, que les entreprises aient une plateforme gérée par les employeurs à qui s’adresser pour obtenir des conseils en toute confidentialité.

UPDATE 20/07/2023

La loi a été publiée aujourd'hui au Moniteur Belge.