Bientôt un statut de salarié spécifique pour les travailleurs du sexe
UPDATE | À partir du 1er décembre 2024, les travailleurs du sexe pourront être occupés par un employeur dans le cadre d’un contrat de travail, à condition que l’employeur ait obtenu un agrément préalable à cet effet, impliquant le respect de conditions strictes. À défaut d’un tel agrément, l’occupation de travailleurs du sexe constituera toujours un délit passible de poursuites pour proxénétisme.
Rappel des évolutions récentes en droit pénal sexuel
Jusqu’à présent, l’engagement de quelqu’un dans les liens d’un contrat de travail en vue de fournir une prestation sexuelle était interdit et frappé de nullité absolue. En cas de litige, il arrivait que l’employeur ou les tiers invoquent cette nullité pour échapper à leurs obligations, par exemple en matière de paiement du salaire et des cotisations sociales.
Depuis le 31 mars 2022, la nullité du contrat de travail ne pouvait plus être opposée au travailleur qui se prostitue. Ce dernier pouvait donc faire valoir ses droits découlant du contrat de travail, bien que le contrat soit illicite.
Le 1er juin 2022, le droit pénal sexuel a été réformé en faveur d’une décriminalisation du travail du sexe, avec des conséquences surtout pour les tiers dont les travailleurs du sexe étaient dépendants (propriétaires, comptables, etc.) et qui risquaient d’être accusés de proxénétisme.
Si les travailleurs pouvaient alors exercer sous statut d’indépendant sans que les tierces parties ne soient inquiétées, il ne leur était toujours pas possible de travailler sous contrat de travail, puisque l’organisation de la prostitution d’autrui dans le but d’en retirer un avantage constitue une infraction de proxénétisme sanctionnée par le Code pénal. Toutefois, l’article 433quater/1 du Code pénal réformé relatif au proxénétisme prévoit que l’organisation de la prostitution d’autrui dans le but d’en retirer un avantage est interdite « sauf dans les cas prévus par la loi ». La loi du 3 mai 2024 fixe le cadre dans lequel un employeur peut organiser la prostitution d’autrui.
Agrément préalable
Pour pouvoir être agréé, l’employeur doit avoir la forme d’une SRL, d’une société coopérative ou d’une ASBL. Les administrateurs et le personnel de direction et d’encadrement ne peuvent pas avoir été condamnés pour une série d’infractions (faits de mœurs, abus, vols, fraudes, etc.) et il leur est interdit de déléguer leur autorité et leurs obligations à des sous-traitants.
Sur le lieu de travail, une série de conditions doivent être respectées pour conserver l’agrément :
- une personne de référence doit être disponible en continu pendant les prestations ;
- les locaux doivent être accessibles aux organisations socio-médicales et aux organisations professionnelles représentatives des travailleurs ;
- l’employeur doit respecter toutes les règlementations en vigueur ;
- chaque pièce doit être équipée d’un bouton d’urgence relié à la personne de référence et le travailleur doit disposer d’un bouton d’urgence mobile en cas de prestation en dehors de l’établissement.
Un arrêté royal doit encore préciser la procédure d’agrément et certaines conditions d’agrément supplémentaires en matière de santé et de sécurité au travail. Nous le relaierons ici lorsqu’il sera publié au Moniteur belge.
UPDATE 04/11/2024
L'arrêté royal fixant la procédure d'agrément des employeurs occupant des travailleurs du sexe a été publié aujourd'hui au Moniteur belge.
UPDATE 12/11/2024
L'arrêté royal fixant les conditions d'agrément supplémentaires en matière de santé et de sécurité au travail a été publié aujourd'hui au Moniteur belge.
Particularités du contrat de travail de travailleur du sexe
Toutes les dispositions du droit du travail et de la sécurité sociale sont d’application, sous réserve des exceptions suivantes prévues par la loi :
- Contrat écrit
Le contrat de travail doit être constaté par écrit avant le début des prestations et mentionner le numéro d’agrément de l’employeur.
- Interdiction ou limitation de certaines formes de contrat
Le travailleur du sexe doit être majeur et le travail du sexe ne peut pas être effectué dans le cadre d’un contrat de travail étudiant, intérimaire, flexi-job et occasionnel. Le travail à domicile implique le respect d’une série de conditions dont certaines doivent encore être déterminées par arrêté royal ou par CCT de la commission paritaire compétente (qui sera a priori la CP 302 de l’industrie hôtelière, mais cela doit encore être confirmé).
- Droit de refus
Le travailleur du sexe a le droit, à tout moment, de refuser les rapports sexuels avec un client ou l’accomplissement de certains actes sexuels, de cesser l’activité sexuelle ou d’imposer ses propres conditions à l’activité sexuelle, sans qu’aucune conséquence négative ne puisse en résulter.
Lors de l'exercice de ce droit de refus, le travailleur a le droit de s'absenter du travail avec maintien de sa rémunération normale. Il bénéficie d’une protection contre toute mesure défavorable qui interviendrait dans un délai de 6 mois pour des motifs liés au refus, dont la violation est sanctionnée par le paiement d’une indemnité forfaitaire de 6 mois de rémunération brute.
Sans remettre en cause l’objectif poursuivi par cette règle (la protection du consentement et de l’intégrité physique du travailleur), l’inscription dans un texte de loi du droit de refuser de travailler tout en bénéficiant d’une rémunération garantie constitue un précédent qui pose question au regard des principes de base de la relation de travail au sens de la loi du 3 juillet 1978, caractérisée notamment par le lien de subordination. Dans leur avis unanime n° 2398, les partenaires sociaux rappelaient que les travailleurs du sexe pouvaient déjà se prévaloir des dispositions existantes du droit pénal sexuel, de la loi relative au bien-être et du Code du bien-être au travail, pour refuser des prestations sur la base de motifs légaux et imposer leurs propres conditions à leur sexualité sans en être pénalisés dans le cadre de la relation de travail. Le CNT demandait donc que le projet de loi soit modifié sur ce point mais il n’a pas été suivi.
- Démission sans préavis ni indemnité
Le travailleur du sexe a le droit de démissionner sans devoir prester un préavis ni payer une indemnité. Le projet de loi prévoyait initialement que dans ce cas, en dérogation à la réglementation du chômage, le travailleur n’était pas considéré comme chômeur volontaire et ne risquait donc pas d’être exclu temporairement du bénéfice des allocations de chômage. Les organisations d’employeurs ont toutefois mis en garde contre les risques de fraude et d’abus que comporte un tel droit immédiat aux allocations de chômage. Les partenaires sociaux se sont accordés pour demander la suppression de cette dérogation, tout en rappelant que la réglementation existante permet de tenir compte des situations spécifiques de travailleurs qui ont un motif valable pour démissionner. Ils ont été suivis sur ce point par le législateur.