Coronavirus : qu’implique la loi de pouvoirs spéciaux ?

Le 30 mars dernier est parue au Moniteur Belge une loi « habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19 ». En d’autres termes, cette loi donne des « pouvoirs spéciaux » au gouvernement, ce qui se traduit par la possibilité de prendre des mesures directement par arrêté royal sans devoir passer par une loi votée par le Parlement. Nous vous proposons d’aborder les aspects qui concernent plus particulièrement les entreprises à profit social et les associations en général.

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Ce que le gouvernement ne peut pas faire

La loi énumère une série de matières qui sont exclues de l’habilitation donnée au gouvernement. En l’espèce, un arrêté royal « de pouvoirs spéciaux » ne pourrait pas « porter atteinte au pouvoir d’achat des familles et à la protection sociale existante » (article 3). Exemples : indexation des salaires, dégressivité des allocations de chômage, etc.

D’autres exclusions sont prévues également. Ainsi, un arrêté royal de pouvoirs spéciaux ne pourrait pas « adapter, abroger, modifier ou remplacer les cotisations de sécurité sociale, les impôts, les taxes et les droits, notamment la base imposable, le tarif et les opérations imposables » (article 4).

 

Ce que le gouvernement peut faire

Venons-en à ce que la loi d’habilitation permet au gouvernement de faire lui-même sans passer par le Parlement. Cette marge de manœuvre est fixée à l’article 5 et nous nous limitons à ce qui concerne (potentiellement) le droit du travail et de la sécurité sociale, les entreprises (y compris les entreprises à profit social) et les associations en général.

Le gouvernement peut par arrêté royal de pouvoirs spéciaux « apporter un soutien direct ou indirect, ou prendre des mesures protectrices, pour les secteurs financiers, les secteurs économiques, le secteur marchand et non marchand, les entreprises et les ménages, qui sont touchés, en vue de limiter les conséquences de la pandémie ». D’ailleurs, l’Unisoc s’efforce de veiller, à travers sa participation au Economic Risk Management Group, à ce que les mesures de soutien incluent le secteur à profit social.

Le gouvernement peut également par arrêté royal de pouvoirs spéciaux « apporter des adaptations au droit du travail et au droit de la sécurité sociale en vue de la protection des travailleurs et de la population, de la bonne organisation des entreprises et des administrations, tout en garantissant les intérêts économiques du pays et la continuité des secteurs critiques ».

Cette habilitation est la bienvenue vu qu’une série de questions liées au temps de travail (notamment les heures supplémentaires et leur récupération), au travail des étudiants, à la mise à disposition, à la réquisition ou encore aux congés, autant de questions sur lesquelles l’Unisoc continue à sensibiliser les cabinets ministériels, peuvent donc se régler sans devoir passer par un parcours législatif long et fastidieux.

Le gouvernement peut encore « suspendre ou prolonger les délais fixés par ou en vertu de la loi ». C’est plus que probablement à la lumière de cette habilitation qu’il faut par exemple lire ce communiqué de presse du ministre de la Justice qui annonce la prise de plusieurs arrêtés, dont un qui devrait permettre aux ASBL d’organiser dans des conditions flexibles leurs réunions du conseil d’administration et de l’assemblée générale malgré le contexte de confinement causé par la crise du coronavirus. Nous y reviendrons prochainement lorsque ces arrêtés auront été publiés au Moniteur Belge.

Même s’il est peu probable que cette possibilité soit utilisée par le gouvernement, mentionnons également qu’il peut prendre un arrêté royal de pouvoirs spéciaux pour « se conformer aux décisions prises par les autorités de l'Union européenne dans le cadre de la gestion commune de la crise ».

Sous réserve des exclusions prévues aux articles 3 et 4 de la loi, celle-ci permet théoriquement une action large du gouvernement en précisant que les arrêtés de pouvoirs spéciaux peuvent « abroger, compléter, modifier ou remplacer les dispositions légales en vigueur, même dans les matières qui sont expressément réservées à la loi par la Constitution ».

 

Quid de la concertation sociale ?

Un point d’attention qui peut avoir son importance : la loi permet au gouvernement, dans les matières susmentionnées, de prendre un arrêté royal de pouvoirs spéciaux « sans que les avis légalement ou réglementairement requis, soient préalablement recueillis » (article 6). En d’autres termes, le gouvernement pourrait par exemple ne pas consulter les partenaires sociaux interprofessionnels (dont l’Unisoc) réunis au Conseil National du Travail.

 

Entrée en vigueur et effets

Sur l’entrée en vigueur et les effets, il faut remarquer deux choses. Premièrement, les mesures que le gouvernement est habilité à prendre seul dans le cadre de la crise du coronavirus peuvent avoir un effet rétroactif (donc valoir pour le passé et pas uniquement pour le futur). Cet effet rétroactif est néanmoins limité au 1er mars 2020 (article 2).

Deuxièmement, la loi stipule que les pouvoirs spéciaux accordés au gouvernement par la présente loi « expirent trois mois après l'entrée en vigueur de la présente loi », que les arrêtés de pouvoirs spéciaux qui seront pris « sont confirmés par la loi dans un délai d'un an à partir de leur entrée en vigueur » et qu’ils sont « réputés n'avoir jamais produit leurs effets s'ils ne sont pas confirmés » endéans ce délai (article 7).

En d’autres termes, vu que la loi est entrée en vigueur le jour de sa publication à savoir le 30 mars 2020, le gouvernement est doté de pouvoirs spéciaux jusqu’au 30 juin 2020. Les arrêtés qu’il prendra durant cette période pourront produire leurs effets dès le 1er mars 2020. Ces arrêtés pourront être confirmés par une loi dans l’année qui suit leur entrée en vigueur. À défaut de telle confirmation, ces arrêtés seront censés n’avoir jamais existé.

 

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