"L’Unisoc dresse un bilan sur le CSA, deux ans après l’entrée en vigueur" : entretien à MonASBL.be

Deux ans après son entrée en vigueur, le Code des sociétés et des associations (CSA) continue à interroger. MonASBL.be a demandé à l’Unisoc de faire le point sur la situation : de la mise conformité des statuts, à l’impact sur la fiscalité, en passant par la réforme plus globale du droit des entreprises, le Registre UBO ou encore les prochaines échéances. Ci-dessous l'entretien en intégralité.

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Il y a deux ans, le secteur associatif a été au cœur d’une grande réforme législative. En effet, depuis le 1er mai 2019, la loi de 1921 a laissé place au Code des sociétés et des associations. « Lors des discussions sur la réforme, beaucoup pensaient que tout allait changer et que les associations allaient disparaitre. Cette crainte ne s’est pas confirmée. Les réformes ont bien un impact, par exemple avec les changements des statuts, mais ce n’est pas celui qui était attendu », analyse d’emblée Michaël De Gols, directeur de l'Union des entreprises à profit social (Unisoc).

De son côté, Mehmet Saygin, conseiller juridique au sein de l’Unisoc, apporte une autre précision : « On dit que la loi de 1921 a disparu, mais ce n’est pas vrai. Il y aura encore des reliquats jusqu’en 2029. Certains spécialistes parlent de cette loi comme d’une morte-vivante ».

Pour en savoir plus sur l’impact que le CSA a sur les associations ainsi que les changements à venir, MonASBL.be s’est donc entretenu avec les deux spécialistes.

"Il pousse à envisager un mode de fonctionnement qui va davantage vers la génération de bénéfices"

MonASBL.be : Comment le CSA change-t-il les pratiques des ASBL depuis son entrée en vigueur ?

Unisoc : Le CSA change sensiblement la pratique des ASBL. L’élément déterminant de la loi de 1921, c’était l’interdiction d’effectuer des activités industrielles et commerciales. Cette interdiction disparait dans le CSA et est remplacée par celle de distribuer un avantage patrimonial, c’est-à-dire un bénéfice à la manière d’un dividende qu’on distribue aux associés dans une société.

Cela pousse inévitablement à un changement de pratiques et donc à envisager un mode de fonctionnement qui va davantage vers la génération de bénéfices. Il y a une forme de « détabouisation » de la matière. On observe, sans pour autant pouvoir le quantifier, une tendance à envisager plus confortablement la génération de bénéfices. Dans un univers qui à la base était organisé très fortement autour d’une forme de volontariat, forcément ça pose des questions fondamentales sur la philosophie même des ASBL.

L’autre élément est le mode de fonctionnement et de gestion des organes d’ASBL. Un des exemples les plus frappants c’est qu’avant une AG devait avoir plus de membres qu’un conseil d’administration, car parmi les objectifs de l’AG il y avait le contrôle du CA. Avec le CSA, ces conditions disparaissent. Là aussi on voit un certain nombre de questionnements qui sont en cours, cela aura un impact sur la façon de gérer les ASBL.

Le CSA ne dit pas vous devez faire comme-ci ou comme-ça, le CSA a ouvert les possibilités. C’est parfois mal vécu par les ASBL. Je comprends la crainte qui est de dire si on ouvre la porte, de moins en moins de monde auront ces sensibilités-là. Mais est-ce qu’on peut imposer aux personnes qui ne s’inséraient pas dans la philosophie de continuer à s’inscrire dans un certain mode de fonctionnement ? En tous cas ce n’est pas le choix qui a été fait par le législateur.

"Le registre UBO ? On observe qu’il y avait un grand flou, parfois un grand retard..."

MonASBL.be : Peut-on considérer que le CSA pousse davantage les ASBL à se professionnaliser ?

Unisoc : L’arsenal législatif plus global va impliquer une professionnalisation, pas seulement le CSA. Par exemple, il y a aussi le registre UBO. On observe qu’il y avait un grand flou, parfois un grand retard, au niveau du dépôt des documents officiels à la BCE. Or pour toute une série de procédures, cet enregistrement est une étape importante. Avec le registre UBO beaucoup d’ASBL se sont réveillées car sans un enregistrement convenable à la BCE, il y a une série de problèmes qui se présentent.

Tout cela va certainement impliquer une professionnalisation.

MonASBL.be : Le processus vient donc de démarrer…

Unisoc : Tout le monde n’est pas au même niveau. Certaines structures sont bien avancées, d’autres moins.

De façon générale, il faut distinguer les petites et grandes ASBL. Mais cela est vrai aussi bien dans le CSA, le droit social... Une grande ASBL aura les moyens d’internaliser les expertises et donc affronte les évolutions avec beaucoup plus de confort et de facilités. Une bonne partie des observations que nous faisons concernent davantage les petites structures.

"Les ASBL ont jusqu’au 1er janvier 2024 pour modifier les statuts !"

MonASBL.be : L’une des obligations des ASBL est de mettre leurs statuts en conformité avec le CSA. Où en sont-elles à ce niveau-là ?

Unisoc : D’abord il faut se remémorer les étapes du CSA. L’entrée en vigueur était le 1er mai 2019. Les ASBL qui sont créées après cette date doivent rédiger leur statut en tenant compte du CSA. Mais comme c’est une matière compliquée, un tas de dispositions transitoires ont été prévues. Ainsi, les ASBL ont jusqu’au 1er janvier 2024 pour modifier les statuts.

Toutefois, depuis le 1er janvier 2020, toutes les dispositions impératives s’appliquent automatiquement aux ASBL. Qu’elles modifient les statuts ou non. Mais le problème étant que si vous n’avez pas mis en ordre vos statuts, vous risquez d’avoir une contradiction entre ce qui est prévu dans vos statuts et les règles du CSA. Si c’est le cas, c’est le CSA qui prime.

Par exemple, une bonne partie des statuts des ASBL prévoit qu’il faut convoquer l’AG au moins 8 jours avant, mais une des dispositions impératives du CSA, qui doit être appliquée depuis le 1er janvier 2020, c’est que dorénavant vous devez convoquer l’AG au moins 15 jours à l’avance.

Cela pose un problème au niveau de la visibilité et de la transparence. Tout le monde n’est pas juriste et ne connait pas les règles et quand il faut organiser les instances, les personnes prennent les statuts, les lisent en pensant qu’ils gèrent bien l’ASBL mais en réalité, selon la règle, on n’est pas en ordre.

La complexité ne s’arrête pas là. Les ASBL devront avoir modifié leurs statuts pour le 1er janvier 2024 mais d’ici là, la moindre modification des statuts implique l’obligation de les adapter intégralement au CSA. Cela donne lieu à des doutes. Si je change une virgule, je dois appliquer l’intégralité du CSA ? Techniquement oui. Cela pousse également pas mal de gestionnaires d’ASBL à reporter la mise en conformité de leurs statuts. C’est plus stratégique qu’autre chose.

L’aspect positif toutefois, c’est que cela laisse du temps pour la mise en conformité. C’est important notamment pour les petites ASBL. D’autant plus pendant la période Covid, cela n’a pas toujours été facile de fonctionner donc s’il avait fallu faire ça vite, ça aurait compliqué.

Une autre échéance est celle du 1er janvier 2029 : jusqu’à cette date les ASBL peuvent s’autocontraindre dans leurs statuts à observer l’interdiction d’opérations commerciales ou industrielles.

"Les ASBL sont devenues des entreprises presque comme les autres car il reste encore des particularités"

MonASBL.be : Cela veut dire qu’après cette date, ce ne sera plus légal pour les ASBL de faire apparaitre cette interdiction dans les statuts ?

Unisoc : Exactement. Mais attention il y a une fine nuance à intégrer. À partir du 1er janvier 2029, les ASBL ne peuvent plus se l’interdire formellement dans les statuts, mais elles ne seront pas obligées d’avoir des activités industrielles et commerciales. La logique est de dire, on est dans un processus d’harmonisation entre entreprises. Le CSA s’inscrit dans une réforme plus globale avec le droit à l’insolvabilité, la réforme du droit des entreprises. Le CSA n’est que la 3e et dernière étape.

Les ASBL sont devenues des entreprises presque comme les autres car il reste encore des particularités.

Quand on dit ASBL, il y a aussi des ASBL qui ne sont pas des entreprises. C’est vrai que toute cette grande réforme impacte aussi une petite ASBL composée de deux bénévoles qui a un petit CA et une petite AG. C’est très embêtant car ils n’ont pas de service juridique pour faire les adaptations, ils font ça le soir après le boulot.

"La modification des statuts ne peut pas passer par la procédure écrite"

MonASBL.be : Y a-t-il d’autres obligations et/ou des adaptations prévues par le CSA que les ASBL ont plus de difficultés à identifier et appliquer ?

Unisoc : Sur les mots qui sont utilisés, il y a aussi du changement. Jusqu’ici on parlait de l’objet social de l’ASBL, maintenant on devrait parler de but désintéressé. Est-ce que c’est la même chose ? Il y a donc des problèmes de lisibilité. Surtout qu’on a remplacé objet social par but désintéressé mais les activités sont devenues l’objet. C’est difficile de ne pas confondre.

Il y a d’autres changements comme l’ordre du jour de l’assemblée générale, les procédures en cas de conflits d’intérêts qui sont davantage développées, etc. 

Une autre nouveauté, c’est la possibilité de passer par des décisions écrites. Le CSA modifié par une récente loi de 2020 a apporté beaucoup de conditions, d’exigences et de restrictions procédurales qui posent des questions.

Par exemple, la modification des statuts ne peut pas passer par la procédure écrite. Sur le terrain, on se demande pourquoi. Et ici, les législateurs n’apportent pas de réponses satisfaisantes. Ils renvoient à ce qui s’appliquait déjà pour les sociétés mais contrairement aux sociétés la modification des statuts ne requiert pas d’acte notarié. On a, malheureusement peut-être comme beaucoup d’autres choses, procédé à une harmonisation mécanique qui ne tient pas compte de la situation spécifique des ASBL.

"Si vous êtes pris par cette frénésie à laquelle vous invite le CSA, vous risquez une mauvaise surprise fiscale"

MonASBL.be : Il y a des points du CSA sur lesquels les ASBL doivent être vigilantes.

Unisoc : Il y en a une série mais au niveau de l’Unisoc on peut en identifier un important, c’est cette échéance de 2029. La définition de l’association permet d’avoir des activités commerciales et industrielles illimitées, mais la fiscalité des ASBL, elle, n’a pas changé. Les règles disent que tant que l’ASBL exerce des activités commerciales et industrielles à titre accessoire, elle se voit appliquer l’impôt des personnes morales. Mais si en tant qu’ASBL vous êtes pris par cette frénésie à laquelle vous invite le CSA, vous risquez une mauvaise surprise fiscale car c’est l’impôt des sociétés qui pourrait alors être appliqué. C’est un problème qui se pose surtout au niveau des petites ASBL.

C’est pour ça que l’Unisoc, sans porter de jugement, conseille plutôt la prudence. Peut-être est-il plus prudent de continuer d’avoir des activités commerciales et industrielles à titre accessoire d’une part parce que le CSA vous donne une marge jusqu’en 2029 et parce qu’on n’a pas encore une vue globale sur tous les changements que cela pourra impliquer.

On a parlé fiscalité, mais on peut parler des subsides. Rien ne dit que demain certains pouvoirs subsidiants ne vont pas dire maintenant que les ASBL peuvent exercer des activités lucratives sans limite il n’y a plus besoin d’intervenir comme avant. Ce sont quelques raisons qui nous ont conduit à inviter les ASBL à réaliser ce travail de prudence.

Aujourd’hui nous sommes en 2021, d’ici 2029 la doctrine va se construire, on parle d’une réforme fiscale peut être que des choses seront faites à ce niveau-là.

 

Source : MonASBL.be